Bray Wyatt est parti. Ce jeudi à 36 ans, le catcheur encore bien trop jeune a succombé à une crise cardiaque. Un COVID virulent avait exacerbé des problèmes cardiaques en début d’année. C’est brutal. On a le même sentiment que lorsque Brodie Lee/Luke Harper est parti à la fin de l’année 2020. On savait qu’il avait encore beaucoup de choses à nous raconter, des histoires passionnantes et une carrière encore devant lui. On se retrouve face à une histoire qui n’a pas de fin.
Une histoire qui commence du côté de NXT, première version. Windham Rotunda de son vrai nom y apparaît sous les traits de Husky Harris, un garçon un peu pataud (« husky » en anglais pouvant par ailleurs signifier « enveloppé »), les cheveux courts et une allure d’adolescent. Jeune catcheur de troisième génération (fils de Irvin R. Schyster, petit-fils de Blackjack Mulligan et neveu de Barry et Kendall Windham). La filiation ne faisant pas tout dans une carrière dans le monde du catch, on est encore loin de lui imaginer un avenir radieux, surtout sous ce personnage secondaire. Il rejoint la Nexus à l’automne 2010, mais disparaît des écrans avec la fin du clan et retourne traîner ses guêtres du côté de la FCW.
La naissance de Bray Wyatt
Les premières apparitions de Bray Wyatt remontent à 2012 dans l’ancien territoire de développement de la WWE, mais c’est dans la nouvelle version de NXT lancée la même année par Triple H que Rotunda va pouvoir développer l’univers de son personnage. Plus libre créativement parlant, on découvre tout un univers autour de Bray Wyatt et sa Wyatt Family (composée de Luke Harper et Erick Rowan) à travers des clips vidéo diffusés durant le show. Le personnage de Bray Wyatt est à l’époque inspiré du gimmick de Waylon Mercy (Dan Spivey), lui-même inspiré du personnage Max Cady joué par Robert De Niro dans le film Les nerfs à vif. Windham Rotunda doit aussi sa créativité à une passion pour le théâtre, les arts dramatiques mais aussi et surtout pour les films d’horreur, passion qui le suit depuis l’adolescence. « Il a pris des éléments de sa vie personnelle et des choses qu’il a vu d’autres personnes vivre à Brooksville [la ville où il a grandi en Floride, ndlr] et en a fait un succès », déclarait son père dans une interview donnée à The Ringer. « Il a toujours aimé les films d’horreur. Il adorait Pee-wee Herman, qui était vraiment bizarre. Un autre de ses films préférés était Beetlejuice. Je pense que Bray est l’un des personnages les plus originaux que j’aie vus depuis longtemps. »
Bray Wyatt entretient quelques mystères, comme celui de Sister Abigail, qui en plus d’être le nom de sa prise de finition est un personnage fictif, dont on ne sait pas si elle est, dans son univers, sa sœur biologique ou une sœur dans le sens religieux. Toujours est-il que depuis là où elle est, elle guide le personnage de Bray Wyatt et lui prédit une grande destinée. Le personnage va le suivre longtemps, jusqu’à se retrouver incarné brièvement par Wyatt lui-même en 2017 dans des petits clips vidéo ou à travers une marionnette dans les Firefly Fun House.
La Wyatt Family attire les curieux passionne par son univers glauque et inquiétant. Et en même temps elle résonne, détone, dans un univers du catch qui manquait, notamment à la WWE au début des années 2010, de créativité et d’originalité. La Wyatt Family est l’un des premiers actes fondateurs de ce que sera le NXT jaune et noir, un lieu où s’exprime plus aisément la créativité des talents qui pour la WWE font naître des personnages qui aspirent à devenir des Superstars. La sauce prend chez les fans mais aussi en coulisse, et ne tardera pas à faire mouche jusque chez Vince McMahon qui veut le trio rapidement dans son main-roster. En 2013 la Wyatt Family y fait sa première apparition pour une rivalité avec Kane et le fameux match Ring of Fire de SummerSlam, puis une storyline durant laquelle Daniel Bryan (Bryan Danielson) rejoint le clan brièvement avant d’avoir la place que l’on connaît sur la route vers WrestleMania 30. Durant cette même route, la Wyatt Family entre en rivalité avec le Shield pour un grand match à Elimination Chamber qui restera dans les mémoires, puis part s’attaquer le même soir à John Cena durant le match Elimination Chamber dans le main-event. Le début d’une rivalité pour un match à WrestleMania qui restera comme l’un des plus importants de la carrière de Bray Wyatt, et qui aura un retentissement dans le futur.
À WrestleMania 30, Bray Wyatt semble poussé par l’idée de faire dérailler John Cena – déjà fortement chamboulé par la rivalité d’où sortira le célèbre « He’s got the whole world in his hand ». Il veut l’amener du côté du mal, pousser la Superstar modèle qu’est John Cena à la faute, à la disqualification, peut-être même au heelturn. À la fin du match, il lui donne une chaise pour qu’il le frappe. « Finis-moi ! » répète-t-il à un John Cena perturbé par la situation et par son adversaire qui n’a rien de commun, peut-être un peu tenté de choisir la voie de la facilité. Mais John Cena résiste à la tentation et envoie la chaise contre Erick Rowan avant de terminer le match avec son Attitude Adjustment. La rivalité continuera jusqu’à Payback 2014 mais avec la même issue, John Cena sort vainqueur.
S’ensuit des rivalités plus classiques contre Chris Jericho, Dean Ambrose (Jon Moxley), puis l’année suivante Bray Wyatt affronte l’Undetaker à WrestleMania 31 dans un match où malheureusement la hype n’est pas présente. La faute à la fin de la streak d’invincibilité de l’Undertaker un an plus tôt face à Brock Lesnar à WrestleMania XXX.
Dans le main-roster la Wyatt Family garde une certaine aura, les fans de la première heure sont encore au rendez-vous, mais l’exécution divise. Si à NXT on se focalisait sur la folie du personnage de leader de culte qu’est Bray Wyatt, dans le roster principal la part de surnaturel est de plus en plus présente à l’écran et apparaît même dans certains matchs. De quoi parfois donner le sentiment d’une douche froide après des semaines de storylines et un match qui pouvait être attendu – l’exemple le plus probant est le match contre Randy Orton à WrestleMania 33 où pour destabiliser son adversaire Wyatt faisait apparaître sur le mat du ring des insectes et autres images effrayantes. Wyatt y perd son premier titre de champion de la WWE remporté un mois et demi plus tôt. La tendance ne diminuera pas, la WWE veut sa part de surnaturel sur ses shows et avec l’Undertaker de moins en moins présent à l’écran, Wyatt est une aubaine.
La WWE surfera aussi sur la tendance des cinematic match, (re)lancée par Matt Hardy du côté d’IMPACT Wrestling où le succès de The Final Deletion a fait date dans l’histoire de la promotion. Devant ce succès, la WWE voulait son Final Deletion, et qui de mieux qu’un Bray Wyatt et de la Wyatt Family auquel s’est depuis ajouté Braun Strowman pour proposer ce type de match ? C’était malheureusement trop téléphoné, comme une simple envie opportuniste de la WWE de surfer sur la vague des Hardy. La Wyatt Family et les New Day s’affrontent dans le marais des Wyatt à l’occasion d’un épisode de WWE Raw, tous les ingrédients de l’univers Wyatt sont là, mais le match prend la forme d’un segment trop court dans un épisode du show de la brand rouge.
Laissez entrer le Fiend
C’est après un petit passage à vide dans la midcard et un championnat par équipe de Raw avec Matt Hardy que Bray Wyatt donne un nouveau coup de frais à son personnage de Bray Wyatt, en 2019. Bray Wyatt apparaît désormais dans des petites vidéos intitulées « Firefly Fun House » ayant l’apparence d’une émission pour enfants mais avec un double sens plutôt inquiétant dans lequel Wyatt évoque l’arrivée d’un autre personnage. C’est comme ça que naît The Fiend, son double maléfique que l’on découvre la première fois face à Finn Balor, à SummerSlam. Le Fiend est présenté comme un monstre qui apparaît dans une ambiance angoissante – lorsqu’il attaque un bruit strident se répète continuellement, les matchs se déroulent dans une arena assombrie, éclairée de rouge. Le Fiend adopte la Mandible Claw, popularisée dans les années 90 par Mick Foley, pour soumettre ses adversaires. Tous ses rivaux sortent traumatisés de leur rivalité avec le Fiend, à l’image de Seth Rollins dont le personnage a changé après leurs confrontations – dont on se souvient malheureusement surtout du match Hell In A Cell en 2019 qui a été stoppé par l’arbitre, perdu par Seth Rollins… par disqualification – mais qui offre trois semaines plus tard à Crown Jewel le second titre majeur de Bray Wyatt qui devient champion Universal de la WWE.
Un règne qui après une rivalité contre Daniel Bryan est stoppé net par l’arrivée de Goldberg sur qui la WWE souhaitait absolument mettre le titre Universal en vue d’un match contre Roman Reigns à WrestleMania 36. Goldberg se présente face au Fiend en étant, contrairement à ses précédents adversaires, totalement indifférent au personnage et son folklore. Le match contre Roman Reigns n’aura pas lieu, le COVID force la WWE à se terrer dans son Performance Center pour un WrestleMania à huis clos, Roman Reigns se retire de la compétition quelques mois et c’est finalement Braun Strowman qui part prendre le titre à Goldberg.
Mais heureusement pour Bray Wyatt qui vient de perdre son titre assez brutalement, la nouvelle rivalité contre John Cena offrira l’un des moments les plus mémorables de cette édition de WrestleMania pas comme les autres. Le Firefly Fun House match est l’une des œuvres de Bray Wyatt les plus abouties.
Quand Bray Wyatt vient demander le match de WrestleMania 36 à John Cena, celui-ci avait clairement énoncé son envie de mettre un « jeune talent » en avant pour cette édition. Mais Bray Wyatt s’est souvenu de leur match de 2014, celui où il a compris que le sens du sacrifice que montre John Cena n’a rien de sincère.
Dans un enchaînement de gags, Bray Wyatt y emmène John Cena dans une sorte de confrontation à son passé, transformant tous ses succès en échecs pour le déstabiliser comme ses débuts face à Kurt Angle et la fameuse Ruthless Agression. Il le met aussi face à une autre réalité, celle où la surexposition de John Cena a détruit des gens et des carrières. C’est là que revient sur le tapis le sujet du match de WrestleMania XXX et de la défaite qui a freiné l’ascension de Bray Wyatt, qui racontera durant cette rivalité avoir été sauvé par l’arrivée du Fiend.
Le Firefly Fun House match tend ainsi à démontrer toute l’hypocrisie du personnage de John Cena qui, malgré la bienveillance affichée, ferait tout même le pire pour rester sous le feu des projecteurs, et à poursuivre la mission de leur match de WrestleMania 30 : le pousser à embrasser ses démons, à laisser sortir toute la rage accumulée durant toutes ces années – chose qu’il réussira en rejouant le coup de la chaise de WrestleMania XXX. Le heelturn y est illustré par un John Cena imitant Hulk Hogan lors de sa transformation en Hollywood Hogan pour faire un parallèle entre l’idole de John Cena qui à cette époque aurait fait ce heelturn et rejoint la nWo pour rester sous les projecteurs. Une fois la mission accomplie, le Fiend apparaît. « Ce match de WrestleMania va accomplir ce qui aurait dû se produire il y a 6 ans : Mettre fin à l’existence de la superstar de la WWE la plus surestimée, surévaluée et surprivilégiée qui soit. », entend-on.
Le personnage du Fiend apparaît ensuite dans plusieurs rivalités durant la pandémie et l’ère du Thunderdome, devenant champion Universal pour la seconde fois après une rivalité contre Braun Strowman, embarquant avec lui Alexa Bliss dans ce qu’on pourrait imaginer être une incarnation de Sister Abigail — même si cela n’a jamais réellement été présenté de la sorte.
Cette période fait de nombreux ponts avec l’ancien Bray Wyatt et c’est dans cette même veine que la rivalité contre Randy Orton se déroule. Le Fiend y finit réduit en cendre par Randy Orton – qui avait déjà mis le feu aux « restes » de Sister Abigail dans leur précédente storyline durant laquelle Orton avait infiltré la Wyatt Family, devenant même avec eux champions par équipe. Les deux rivaux se retrouvent à WrestleMania 37 dans un match rapidement expédié que Randy Orton gagne clean en quelques minutes dans l’opener de la première soirée. Bray Wyatt disparaît ensuite des écrans avant que l’on apprenne son départ de la WWE en juillet 2021.
Entre-temps son amie et ancien partenaire de la Wyatt Family, Jonathan Huber (Luke Harper/Brodie Lee) est décédé subitement à 41 ans. Pour cette raison Bray Wyatt expliquera plus tard qu’il ne pourrait plus jamais reprendre le rôle du leader de la Wyatt Family, par respect.
Le lapin blanc
On a peu de nouvelles de Bray Wyatt pendant les deux ans qui suivent. Des rumeurs l’annonce comme beaucoup de catcheurs durant cette période en partance pour l’AEW, mais Triple H, qui a repris le contrôle créatif de la WWE après le départ de Vince McMahon à l’été 2022 ne veut pas se passer d’un des meilleurs éléments créé par son NXT. Pas question de le laisser aller à la concurrence.
C’est ainsi qu’un teasing débute à l’automne 2022. À travers une sorte de campagne menée à la télévision, mais aussi sur les réseaux sociaux, utilisant des QR Code glissés dans les shows, des pages web étranges et des vidéos faisant référence à un lapin blanc et la chanson White Rabbit de Jefferson Airplane, Bray Wyatt nous annonce son retour à travers des indices. Retour qui survient à Extreme Rules 2022.
Bray Wyatt s’exprimera a SmackDown la semaine suivante, se présentant comme « la vraie version de lui-même », pas de personnage, pas d’artifice. C’est peut-être Windham Rotunda qui nous parle pendant quelques instants pour remercier les fans qui l’ont soutenu, qui se sont inquiétés pendant son absence, qui ont espéré son retour et qui l’ont sauvé.
On découvre un nouvel univers autour de Bray Wyatt et un certain personnage nommé « Uncle Howdy » (joué par son frère Bo Dallas). Sa première rivalité a lieu contre LA Knight menant à un match à Royal Rumble 2023, un Pitch Black Match qui a généré beaucoup d’attente mais qui s’est surtout révélé être un match sponsorisé. Trop court et sans grand moment. Ce sera malheureusement le tout dernier match télévisé de Bray Wyatt.
Il était prévu qu’il affronte Bobby Lashley à WrestleMania 39, mais Bray Wyatt disparaît des écrans durant cette période. On ne sait rien à l’époque, en dehors de l’évocation de problèmes de santé, mais les nouvelles sont rares, jusqu’à celle de son décès ce 24 août 2023 à seulement 36 ans.
Le décès de Bray Wyatt est brutal. Il nous laisse désemparé face à une histoire qui n’aura pas de fin, qu’elle soit celle de son personnage ou celle de sa propre vie. Une œuvre inachevée. Windham Rotunda avait sans doute encore sous le coude des kilomètres de pages de scénario, de personnages, d’histoire captivantes à nous raconter. Une telle passion pour le catch et le storytelling qui manqueront au monde du catch.
