Alors que l’AEW reprenait la route le 7 juillet dernier, un individu à la trogne et au ton rappelant largement celui d’un américain arriéré adepte des complots et sûrement fidèle électeur de Donald Trump se présente à la foule du James L. Knight Center de Miami. Son propos est simple : Il est un fervent nostalgique du catch des territoires et ne peut pas supporter le catch proposé par l’AEW, jugeant ses talents en totale opposition aux standards d’antan.
Les fans le huent copieusement avant que Lance Archer ne vienne lui infliger son Blackout pour la forme. Ce qu’on pensait être quelques minutes à tuer a finalement donné des idées à Tony Khan. L’engrenage s’est mis naturellement en route au fil des semaines, débouchant sur une rivalité avec l’Inner Circle de Chris Jericho.
Dan Lambert, passionné avant tout
Avant toute chose, Dan Lambert s’avère être un fan de catch de longue date. Il a souvent confié qu’avoir vu The Assassin (également connu sous le nom de feu Jody Hamilton) flanquer une raclée à Sir Oliver Humperdink tandis que son partenaire Ox Baker était contraint d’assister au passage à tabac, empêtré dans les cordes du ring, a été la pierre angulaire de sa passion pour le catch. Un souvenir indélébile.
Désormais séduit par le monde du catch, le tout jeune Dan s’en va demander à son grand-père de l’amener assister à de nombreux shows. Dan et ses copains ont même la chance de rencontrer Gordon Solie qui leur fait faire quelques tâches ingrates en échange de tickets gratuits. Durant son adolescence, Lambert parvient à dégoter des cassettes de catch japonais et se passionne pour son style plus rugueux et sportif qu’on dénomme shoot style.
Le temps passe, Dan Lambert a grandi. Il développe une compagnie de croisière prospère ans le sud de la Floride mais cette passion pour le catch et les sports de combat reste infaillible. L’illumination se réalise lorsqu’il met la main sur des cassettes de la toute jeune Pancrase Figthing Championship, fondée par Minoru Suzuki et Masakatsu Funaki, jeunes espoirs de la NJPW qui se sont tournés vers la PWFG de Yoshiaki Fujiwara ainsi que l’UWF d’Akira Maeda et de Nobuhiko Takada. Dans le même temps, Lambert fait la rencontre de Marcus « Conan » Silveira lors d’un événement de MMA et dont la salle de sport se trouve à dix minutes d’où il réside à Miami.
Progressivement, Dan Lambert se fait un nom dans la communauté alors naissante du MMA, sans pour autant pénétrer dans un ring ou un Octogone, mais sa passion parle pour lui. Dans le même temps, l’UFC commence à se faire connaître et Lambert, entouré de Silveira ainsi que de Ricardo Liborie, sixième dan de jiu-jitsu brésilien, décide de fonder l’American Top Team au cours de l’année 2001.
La formule de « boomer » jusqu’à la caricature
Une chose est certaine : on prend plaisir à détester Dan Lambert. C’est un con comme on en fait rarement. L’est-il dans la vie réelle ? On ne se permettra pas de juger quelqu’un sans le connaître, mais cette aisance à incarner le personnage est assez incroyable. L’homme a la gueule de l’emploi. C’est ce tonton, un peu bouffi, qui vient beugler que le catch n’est que du chiqué, que les talents d’aujourd’hui sont des princesses et que ses combattants de sa American Top Team sont en tout point meilleurs : des athlètes qui se battent pour de vrai pour un résultat qui n’est pas connu à l’avance. Quoique. Une pensée partagée par de nombreux amateurs de MMA et autres sports de combat.
Au vu des réactions suscitées lors de sa première apparition et à sa plus grande surprise, Lambert est rappelé par l’AEW. Il accepte, en déclarant plus tard qu’entre la promotion de Tony Khan et celle de Vince McMahon, celle du second aborde son produit de manière « égoïste » alors que le premier laisse ses talents s’exprimer. Lambert n’en est d’ailleurs pas à cette première expérience avec le catch : courant 2017, il était apparu aux côtés de Bobby Lashley, alors membre de l’ATT, pour combattre Moose. Un passage relégué depuis aux oubliettes.
La sauce prend et le fondateur de l’American Top Team pousse son personnage qu’on qualifiera de « boomer » à l’excès, jusqu’à la caricature. La foule joue le jeu tandis qu’au micro, avec lequel il est à l’aise, Lambert continue de lâcher tout un tas d’inepties pour susciter la colère des fans de catch tout en promettant que ses combattants comme Junior Dos Santos, Andrei Arloswki, Jorge Misdaval ou encore Paige Van Zant viendront mettre les talents de l’AEW à l’amende. La formule voulant que le catch « c’était mieux avant » fonctionne toujours.
Dans cette épopée, Lambert embarque Scorpio Sky et Ethan Page, désormais connus sous le nom des Men of the Year, venant de servir de chair à canon pour Darby Allin et Sting. Les deux hommes sont respectivement ancien combattant de MMA et ceinture noire en taekwondo et karaté. Malgré tout et si même leur mise en avant a été parfois hasardeuse, vouloir faire de ces deux-là des tueurs, l’idée n’était pas franchement mauvaise. C’est aussi un moyen d’entourer ses combattants de MMA par des mecs expérimentés pouvant les guider sur le ring dans l’optique où ces derniers participeraient à un match de catch.
Jouer avec les limites pour divertir
Afin que la sauce puisse prendre auprès des fans de l’AEW, opposer Dan Lambert et ses copains à un larron tel que Chris Jericho relevait d’une facilité criante mais se révèle être le meilleur des choix. Accompagné de sa bande de l’Inner Circle, désormais favorite de la foule, les toucher est synonyme d’une bronca générale de la part des fans. Même passés à tabac à plusieurs reprises, Jericho, Hager, Gueverra, Ortiz et Santana se relèvent quoi qu’il arrive.
La clé de cette rivalité résidait d’abord dans le kayfabe. Jamais nous nous sommes fait cette réflexion selon laquelle des combattants de MMA pouvaient démonter sans grande difficulté une bande de catcheurs. Et puis il y avait le ton des promos, pas toujours de bon goût mais farouchement efficace auprès des fans.
Écouter Lambert et Jericho s’échanger d’innombrables punchlines au fil des semaines a tout de même tenu en haleine durant tout une rivalité pourtant pas si alléchante sur le papier. Il a fallu user de grivoiseries pour amuser la foule. Faire des blagues sur la supposée homosexualité entre les membres de chaque clan n’était certainement pas du meilleur goût pour le public de 2021, mais elles ont fait réagir et pour des hommes de la génération de Jericho ou Lambert, c’est tout ce qui compte. Le problème c’est qu’elles ne font pas l’unanimité en coulisse si l’on en croit certaines rumeurs et que l’AEW a dans son roster plusieurs talents concernés, et parfois victime de propos homophobes de la part de fans.
Paige VanZant n’a pas échappé elle non plus à la grivoiserie de Chris Jericho, plusieurs fois la cible de ce dernier en raison de ses publications destinées à un public majeur. Quand la combattante déclare qu’elle pourrait « prendre à elle seule l’Inner Circle tout entier », c’est assurément du pain béni pour un Jericho toujours prêt à faire la blague à laquelle tout le monde pense.
L’AEW sait que cela peut choquer, mais celle-ci semble mettre à l’épreuve son TV-14 (le système de classification télévisuel) tout autant que sa foule. Chez TNT ça passe en tout cas, contrairement au fait de sortir un cigare.
Le catch et le MMA, rivaux mais pas trop
La rivalité a aussi relancé une vieille tradition : celle de faire passer des athlètes du MMA vers le catch. Du ring de catch à l’octogone ou le chemin inverse, il s’agit d’un phénomène devenu banal et amorcé par des athlètes comme Ken Shamrock ou Dan Severn. Après une première aventure à la All Japan ainsi qu’à la South Atlantic, Shamrock avait décidé de se lancer dans les arts martiaux avant de revenir dans le ring de catch en 1997 à la WWE. Quant à Severn, celui-ci s’est aventuré dans le catch par le biais de l’UWF-I, avant de remporter le championnat du monde poids lourds d’une NWA en perdition durant quatre années.
Plus poussée encore, la RINGS, fondée par Akira Maeda. Celui-ci a longtemps laissé un flou entre le vrai du faux dans son approche du catch, mais toujours est-il que celui qui est considéré comme l’un des précurseurs du shoot style a ramené en son sein des noms comme Volk Han, Andrei Kopylov, Kiyoshi Tamura, Mitsuya Nagai ou encore Masayuki Naruse. Après la fermeture de l’organisation en 2002, Nagai et Naruse ont notamment poursuivi une carrière dans un catch plus traditionnel. L’année 2003 voyait par ailleurs aussi le retour de Minoru Suzuki sur les rings de catch après dix années intenses de Pancrase.
Plus récemment, des noms tels que Matt Riddle ou Tom Lawlor ont fait sensation après une carrière dans l’Octogone. Le plus criant étant aussi Ronda Rousey, qui malgré une seule année de carrière, a marqué les esprits. On pense aussi à Brock Lesnar, qui a laissé des marques que ça soit sur un ring de catch ou dans l’octogone de l’UFC. La série des GCW Bloodsport permet aussi de faire une passerelle entre deux mondes qu’on oppose, l’un étant souvent présenté péjorativement comme « chiqué » alors que l’autre est la quintessence du courage et de l’abnégation où tout est presque possible. Mais au bout du compte, ces deux univers restent intimement liés.
Ainsi, même si des athlètes comme Junior Dos Santos et Andrei Arlovski sont encore des noms crédibles au sein de l’UFC, cette première aventure dans le monde du catch a sûrement dû leur mettre du plomb dans la tête. On manque d’ailleurs de ce qu’on nomme des enforcers dans le catch, un rôle pratique pour masquer le manque de charisme ou juste d’une inaptitude au micro. Paige VanZant, qui s’est aisément démarquée du reste de l’American Top Team a été la seule à s’exprimer en dehors de Dan Lambert et a les aptitudes et la jugeote nécessaire pour s’approprier la foule comme elle le souhaite. Si elle se lasse du MMA ou encore de la boxe à mains nues, la Bare Knuckle Boxing, le catch l’accueillera à bras ouverts, surtout si l’AEW décide de la signer. VanZant serait assurément une recrue de choix au sein d’un roster féminin toujours en mode patinage.
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Néanmoins, la transition n’est pas toujours de bon augure pour tout le monde. On pense ainsi à Cain Velasquez, surtout victime d’un booking lamentable à la WWE et ensuite poussé vers la sortie en raison de fameuses coupes budgétaires. On pense aussi au Brawl for All de la WWE à l’été 1998, durant lequel celle-ci a tenté de mélanger le vrai et le faux, les égos de chacun ont ensuite fait le travail nécessaire pour ce qui deviendra l’un des épisodes les plus désastreux de l’histoire de la compagnie de Stamford. Pour finir, on pense en outre à la période de l’Inokiism où la NJPW fut plombée par la lubie de son fondateur sur les combattants d’arts martiaux, venus décrédibiliser tout le vestiaire de la promotion nippone au passage.
L’AEW a surtout réussi un pari que peu de fans avaient perçu d’un bon œil au démarrage de toute cette storyline. Que diable feraient-ils d’un personnage de boomer complètement en contradiction avec les valeurs de la promotion ? Poussé à l’extrême, le second degré a progressivement fait irruption dans la tête de beaucoup tout en offrant un piédestal aussi utile pour les combattants que pour les catcheurs, et même pour la promotion de Tony Khan. Ce dernier a pu placer son vétéran populaire qu’est Chris Jericho dans une histoire qui n’a fait d’ombre à aucune autre tandis que des gars comme Sammy Guevera, ainsi que Santana & Ortiz ont pu en ressortir grandi au fil du temps, augmentant leur crédibilité au passage.
Un temps soit peu rappelant les grandes heures d’une Attitude Era impossible à reproduire de nos jours tout en offrant un programme assez populaire auprès des fans, les premiers pas de Dan Lambert à l’AEW ont prouvé une nouvelle fois qu’un lien indéfectible est noué entre le catch et le MMA, tous deux faisant dans l’art du sensationnel.